Mise en garde : attention, je spoile l’intrigue, ne lisez pas cet article si vous n’avez pas vu le film !
Puissance
Ce film fabuleux (Oscar du meilleur scénario, adapté de la propre pièce de l’auteur, Le père, Oscar du meilleur acteur pour Anthony Hopkins) , je l’aime pour un tas de raisons. Il montre ce qu’il veut montrer en aller tout droit, sans détours, à la puissance maximale : le désarroi d’un père confus, sa dépendance, sa souffrance, la souffrance de sa fille. Et la difficulté de maintenir intact le lien filial dans ce contexte où le père, non seulement n’a plus de repères spatio-temporels, mais très peu de moyens pour récupérer un peu d’autonomie, comme on le voit, entre autres, dans la scène où il est obsédé par sa montre. Florian Zeller a relevé le défi qu’il s’était donné de faire vivre au spectateur la confusion qui règne dans l’esprit d’Anthony. La perte de point de repères spatio-temporels du personnage est vécue de l’intérieur par le spectateur, elle ne doit pas être expliquée ni être à distance.
Créer la confusion chez le spectateur
J’aime ce film parce qu’il m’a enseigné comment faire pour créer cet effet de confusion. L’esprit du spectateur a l’habitude de compléter le puzzle de l’histoire en ajoutant les informations données au fur et à mesure. Sauf que dans le cas de The father, impossible… on se perd. Normal puisque l’on vit la vie d’Anthony. Par exemple, nous apprenons – en même temps que lui – que sa fille va quitter Londres pour Paris, pour rejoindre son amoureux. Cette information plonge Anthony dans une colère mêlée de tristesse. Plus tard nous apprenons qu’Anne, sa fille, est célibataire. Ah ? Et encore plus tard nous assistons à une scène où Anthony, sa fille et le mari de sa fille sont attablés autour du repas, dans l’appartement de sa fille. Le mari profite de l’absence d’Anne pour informer Anthony que c’est très compliqué la vie pour sa fille, pour leur couple, très compliqué de vivre avec lui. Encore plus tard nous entendons Anne dire à son père qu’il n’a jamais été question qu’elle aille vivre à Paris. Et dans la scène finale, finalement nous comprenons qu’elle est bien partie à Paris.
Construction
Si on se met du côté du réalisateur, après avoir vu le film, ce que j’ai fait bien sûr, la question fascinante est : comment a-t-il réussi à créer la confusion chez le spectateur ? La réponse, je la trouve quand je comprends, à la fin du film, qu’Anthony est dans une maison de retraite, qu’on comprends que la femme qu’il confondait avec sa fille est une infirmière. On entend l’infirmière lui expliquer que sa fille est venue exprès de Paris pour lui rendre visite et donc pour nous, cela remet un peu d’ordre dans la chronologie. Ce qui permet de découvrir la technique : la construction du film est faite d’une succession d’enchaînements du passé remémoré et plaqué sur le présent dans la mémoire d’Anthony. Seulement, le spectateur ne le sait pas, il ne le saura qu’à la fin. Tout est joué, du point de vue d’Anthony COMME si le passé était le présent dans le réel, alors que ce ne l’est que dans la mémoire confuse de ce père. C’est une sorte d’ironie dramatique inversée : au lieu de donner des informations au spectateur que le personnage ignore, le spectateur est tout aussi ignorant que le personnage.
Fascinant comme construction non ?
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